mardi 4 novembre 2014

Vestiaire iconique #6 : les foulards de Little Edie


Que reste-t-il après la vision de Grey Gardens? Aussi étrange que cela puisse paraître venant d'un film, il reste surtout une odeur complexe. Un mélange d'effluves: celle de la moisissure qui aurait gangréné un pot de poudre de riz, le parfum ambré de l'huile solaire qui aurait tourné et l'odeur rance des vieilles fourrures. Grey Gardens sent la déchéance, la folie et la nostalgie.

Grey Gardens, c'est surtout un duo : Big Edie, la mère. Little Edie, la fille. Respectivement tante et cousine de Jackie Kennedy, que les aléas de la vie ont menées de la grande vie à la clochardisation, au déclassement. Vivant retranchées dans leur manoir des Hamptons devenu insalubre, elles semblent s'être extraites de la société en créant leur bulle. Bulle paradoxalement peu protectrice tant l'excentricité y dispute à la rancoeur. On y nourrit des rongeurs envahissants, on ne nettoie plus rien et pourtant on prend des bains de soleil, on improvise des danses et on se balade en manteau de fourrure dans la crasse tout en s'envoyant à la face les reproches les plus amers.

Grey Gardens est une oeuvre impudique, effrayante. Elle laisse entrevoir ce qu'auraient pu devenir les personnages magnifiques de Fitzgerald si leur auteur les avait laissé vieillir. Des êtres fantasques, perdus, enfermés dans le fantasme de leur existence d'avant. Constats amers: la splendeur n'est qu'éphémère, la frivolité vieillit mal, les relations exclusives mère-fille non plus.

Et pourtant... pourtant, la relation complexe qu'entretiennent ces deux femmes à leur passé, à leurs choix de vie, à leurs rôles en tant que mère et fille mais aussi leur excentricité nous les rendent terriblement attachantes et surtout fascinantes. Altières, purement bourgeoises, ces deux femmes ne peuvent - même inconsciemment -  envisager la chute qu'avec panache.

Mais Grey Gardens, c'est avant tout Little Edie. Petite fille enfermée dans un corps de quinquagénaire, elle est l'archétype de la femme qui ne peut faire le deuil de sa beauté d'antan. En dépit de la misère ambiante, Little Edie flirte en permanence que ce soit avec les hommes qui la filment ou avec la caméra directement. D'où la coquetterie permanente, l'envie de prouver qu'elle reste avant tout un corps, souple, athlétique. Little Edie évolue ainsi tout au long du film en body et collants, talons, dos nu, maillot de bain, robe toujours ceinturée, nouée avec les moyens du bord afin de rendre en permanence le tissu toujours plus proche de ce corps autrefois courtisé. 

Edith Bouvier Beale jeune
Edith dans Grey Gardens


Accessoire symbolique: les foulards dont elle recouvre ses cheveux. Ils changent au gré des plans, à motifs ou unis, simple serviette voire même chandail,  ils sont toujours accessoirisés d'une broche, d'un bijou. Ils entourent ce visage fatigué par le temps et les ennuis mais dans le même temps lui donnent un aspect souverain mettant en valeur ces sourcils dessinés, cette bouche et ces yeux toujours maquillés. Lorsqu'ils sont sombres, ils donnent à sa figure une aura de martyre, de figure expiatoire de l'amour maternel.

Faut-il voir Grey Gardens? Bien sûr que oui. C'est un très beau documentaire sur la folie mais aussi sur le regret, l'amertume. La malice qui infuse tout le film et la bienveillance avec laquelle les deux réalisateurs regardent évoluer ce duo mère-fille permet de ne pas sombrer dans le pathos. Un téléfilm tentant de donner des clés sur la déchéance de ces deux personnages est sorti en 2009 et vaut surtout pour la performance hallucinante de mimétisme de Drew Barrymore.




Cheers!





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