mercredi 15 janvier 2014

Voyage et tourisme: le regard malicieux de Julien Blanc-Gras


Le masque et la plume sur France Inter est un de mes plaisirs coupables du dimanche soir (mis à part lorsqu'ils abordent le théâtre, car..."je n'aime pas le spectacle vivant"). Les critiques invités savent alterner sérieux et fantaisie, s'invectivent tels de vieux compagnons de route, manient les mots et les concepts avec brio, et semblent surtout prendre un plaisir fou à être là. Plaisir communicatif notamment quand ils pratiquent cet art tout français de la descente en flèche. C'est d'ailleurs là que réside la culpabilité: entendre un bon mot un peu méchant (quand il ne me concerne pas) est, paradoxalement, toujours amusant. Bref, c'est une émission qui par la qualité de ces échanges et son sens particulier de l'entertainment culturel m'a donné envie d'acheter beaucoup de livres, de voir beaucoup de films.

Un soir, Jérôme Garcin a lancé une discussion autour du dernier livre de Julien Blanc-Gras: Paradis (avant liquidation). Là, chose assez rare pour être soulignée, ce fut une unanimité totale; ce livre semblait être une réussite: écriture, sujet, style. L'emballement était tel qu'il a suscité ma curiosité, je n'ai donc pas résisté longtemps à l'achat de Touriste, seul livre de cet auteur disponible dans la FNAC la plus proche de chez moi (oui j'aurais pu aller chez le libraire, mais paradoxalement je vis dans un quartier de lettres pauvre en librairies).

J'avoue avoir d'abord un peu hésité. Le livre était classé dans la section "Écrivains voyageurs", section qui, là comme ça tout de suite, ne me séduit pas plus que ça. Beaucoup d'a priori  pas vraiment fondés sur cette catégorie d’œuvres littéraires, l'impression que je signe un pacte pour être assommée par les considérations anthropologiques à la fois désuètes et pompeuses d'un Yann Arthus Bertrand (Tout le monde n'est pas Lévi-Strauss). Mais au moment de reposer le livre, je me rappelle de l'emballement lors de l'émission. Allez hop, c'est acheté.

Et bien, ce Touriste, je l'ai lu d'une traite. Je l'ai trouvé drôle, très drôle. On est en effet bien loin du récit de voyage empesé sensé nous donner à constater la supériorité intellectuelle de son auteur. Julien Blanc-Gras s'y présente comme un amoureux pathologique de la géographie, dont la seule manière de se soigner est de parcourir le globe, pour tout voir, tout traverser. De là, une ligne fine se crée entre lui, le voyageur, le touriste (lequel est-il?) et l'autochtone.

« Je n’ai pas l’intention de me proclamer explorateur. Je ne veux ni conquérir les sommets vertigineux ni braver les déserts infernaux. Je ne suis pas aussi exigeant. Touriste, ça me suffit.
Le touriste traverse la vie, curieux et détendu, avec le soleil en prime. Il prend le temps d’être futile. De s’adonner à des activités non productives mais enrichissantes. Le monde est sa maison. Chaque ville, une victoire. Le touriste inspire le dédain, j’en suis bien conscient. Ce serait un être mou, au dilettantisme disgracieux. C’est un cliché qui résulte d’une honte de soi, car on est toujours le touriste de quelqu’un. » 

On retrouve une certaine correspondance avec le travail de Jean-Philippe Toussaint quand il s'agit de manier cette ironie douce, jamais dans le jugement ( cf."Autoportrait à l'étranger"). Comme chez Toussaint, cette ironie n'est qu'un vecteur, au final, ce qui accompagne naturellement le regard distancié de l'étranger sur les choses, les incongruités auxquelles l'expose le voyage. Et l'ironie n'empêche pas le drame, ne le dénature pas. C'est toute l'intelligence de Touriste: donner à chaque situation sa juste place, superficialité bonhomme du club de vacances, fraternité inattendue dans une croisière touristique chinoise, horreur lente d'un naufrage à Madagascar...

J'ai l'air sympa, non?
Au-delà même de l'humour et de cet juste équilibre des forces qui sous-tend tout le livre, l'attention portée au choix de chaque mot m'a fait encore fait penser à l'écriture de Jean-Philippe Toussaint. On sent un amour de la langue française, le sentiment que planter une situation de manière efficace en littérature ne peut s'incarner que dans une économie de mots simples, forts et pourtant signifiants.

J'ai commencé Paradis (avant liquidation) et là encore, c'est un très bon bouquin.On peut y lire des phrases parfaites comme ".... ne prend pas la peine de se lever quand j'arrive, mais je ne peux lui en tenir rigueur vu qu'il est unijambiste".

Bref, Julien Blanc-Gras est un auteur à suivre et sa photo en 2eme de couv de Paradis (avant liquidation) renforce l'impression que l'on a, à la lecture de ses livres, d'avoir affaire à un type sympa (oui c'est très superficiel de se raccrocher à ça... Joaquin Phoenix a pas l'air "sympa sympa" et pourtant c'est un acteur génial).

Eet pour finir un bien bel extrait du seul film de Jean-Philippe Toussaint, "la patinoire". Je me marre toute seule en le regardant. Qui a parlé d'ironie douce?


Allez cheers!

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