mercredi 22 mai 2013

"I have no idea how people expect me to be. Some pervert with a pen? I just don’t know".

Les dessins de Robert Crumb me mettent souvent mal à l'aise, j'en reconnais le génie mais leur contenu lubrique, frontal et violent me fascine tout autant qu'il me fait presser le pas.  Sentiment d'autant plus ambigu  que c'est pourtant ce qui est le plus intéressant dans son œuvre: ce trait maniaque, malade, qui ne se départit pas de ses obsessions et ne fait aucune concession à la satire de l'Amérique des années 70 (voir les célèbres planches sur la Manson Family, les personnages tels que Mr Natural, America...). On y retrouve mêlés la sombre désillusion des textes de Joan Didion, la mise à nu des pulsions sexuelles et les vapeurs hallucinogènes de San Francisco.

Finalement, c'est lorsqu'il aborde des sujets plus apaisés que ma relation à son travail est la plus simple: comme ses contributions dans la série des American Splendor ou ses portraits de groupes de blues. On y ressent l'envie de transmettre l'amour de cette musique, de figurer les personnages qui l'ont habitée et fait vivre mais également le contexte dans lequel elle s'est façonnée. Une nouvelle façon de traiter l'image d’Épinal (le groupe familial, la pose avec les instruments, ambiance bayou et alcool) mais pour faire le portrait, à la manière des photographies d'August Sander, d'une Amérique de l'ombre et pourtant lumineuse.
Robert Crumb’s Heroes of Blues, Jazz & Country
Farming Family, 1912, August Sander

Et puis il y a ce rapport à la modernité si complexe chez Crumb, le dessinateur de toutes les avant-gardes sur le terrain stylistique est avant tout un homme qui regarde le passé avec nostalgie. Une des planches qui m'a sur ce point le plus marquée est celle parue dans Mr Nostalgia représentant l'évolution d'un paysage, passant de l'Amérique de Huckelberry Finn à celle de Stephen Shore. Une puissance d'évocation folle sans un seul texte associé.

R. Crumb, Mr Nostalgia, A short story of America, 1998
S. Shore. Uncommon places, 1982

La rétrospective qui s'était tenu l'an dernier au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris m'a permis de comprendre que finalement l’œuvre qui permet de trouver un point d'ancrage vis à vis du grand public est probablement son traitement de la Genèse. Crumb ne fait pas l'impasse sur la violence des scènes décrites dans l'ancien Testament et redonne ainsi à ce texte que l'on envisage par la métaphore, son caractère terrien. Le pictural de Crumb ne sublime pas, il montre que puissance, cruauté et aveuglement sont autant de forces mises en œuvre lorsqu'un Dieu est convoqué.


Robert Crumb est un personnage touchant, passé par beaucoup d’excès et par une famille où la folie et la maladie rôdent.  Pour le découvrir, ne pas hésiter à regarder le documentaire réalisé par Terry Zwigoff: 
 

Cheers !

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